Les Colibris décrivent une belle course en montagne

Sommets pour le Climat fait le parallèle entre les fameuses « valeurs de la haute-montagne » et l’article de Mathieu Labonne, directeur de Colibris, écrit en septembre 2015 intitulé « QUELS LIENS ENTRE CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET LIEN SOCIAL ? »

Nous proposons d’insérer ces valeurs dans ce texte, [entre crochets].

Ce qui m’a dès le départ intéressé dans l’enjeu du changement climatique, c’est qu’il est différent des autres défis environnementaux auxquels nous avons été confrontés. Il demande un changement très large, bien plus large par exemple que le problème de la couche d’ozone qui demandait de remplacer certains gaz par d’autres dans des procédés industriels et des appareils ménagers. Il est bien plus profond et intéressant que de savoir comment remplacer des voitures au pétrole par des voitures électriques. Il s’agit de la remise en cause globale de notre vision du monde, du paradigme dans lequel nous vivons [totalité: une grande course de haute-montagne est « totale » en cela qu’elle engage l’ensemble de notre être. Avec le défi climatique, nous partons pour une course « totale », qui viendra challenger tout notre être].

Cette question climatique est avant tout lié à notre rapport à l’énergie, car la très grande majorité des émissions de gaz à effet de serre est liée à notre consommation d’énergies fossiles. Rappelons-nous au passage nos cours de physique : l’énergie est « la capacité de changer un état », elle quantifie et est nécessaire pour toute transformation. Notre soif énergétique est donc le reflet de notre insatisfaction du « monde tel qu’il est » [La beauté originelle de la montagne, sa pureté, nous renvoient cette insatisfaction du « monde d’en-bas »].

Aujourd’hui, la consommation mondiale est 30 fois supérieure à ce qu’elle était il y a un siècle. Un Terrien consomme 6 fois plus d’énergie qu’un habitant de l’entre deux guerres. Notre niveau de vie représente énergétiquement davantage celui de Louis XIV que d’un bourgeois de la même époque. Ce changement n’est pas lié au fait d’avoir trouvé de nouvelles énergies – on connaît le pétrole et le charbon depuis plusieurs siècles, mais aussi le vent et le soleil – mais à un changement d’échelle dans la production et dans l’usage.

80% de l’énergie consommée est d’origine fossile. Remplacer le pétrole, le charbon et le gaz naturel par des renouvelables à une échelle de quelques décennies est irréaliste. Cela prendra beaucoup plus de temps et ne serait peut-être même pas possible sans défigurer les paysages, épuiser des ressources rares utiles pour les panneaux solaires… La seule solution si nous voulons vraiment tenir compte des urgences écologiques, et notamment réaliser une division par 4 de nos émissions – le facteur 4 inscrit dans la loi française -, c’est de consommer moins d’énergie [Sobriété]. Il n’y a pas d’autre solution.

Or cette énergie, c’est avant tout à l’échelle individuelle que nous la consommons. Le changement climatique c’est notre consommation de viande, nos légumes hors saison, nos surfaces habitées qui augmentent, nos voitures individuelles, nos déplacements en vacances à l’étranger, nos Ipads et Iphones [Sobriété, bis]… Certes l’industrie a un rôle à jouer mais le vrai enjeu est avant tout celui du mode de vie, celui de revoir complètement notre organisation du temps et de l’espace pour construire des vies moins consuméristes et plus heureuses [Simplicité]. Le changement climatique n’est donc pas qu’une affaire de techniciens, d’ingénieurs, d’industriels mais surtout une affaire d’humains, questionnés dans leur rapport au Monde, de citoyens qui doivent construire leur responsabilité personnelle face à l’avenir [Connexion]. Lors d’un colloque, Nicolas Hulot disait que le plus grand risque dans cette crise est que nos enfants nous détestent de ne rien avoir fait et, si on regarde la réalité en face, il a raison : le véritable enjeu est la création d’un véritable humanisme, non pas anthropocentré ou « égocentré », mais pensé dans une relation harmonieuse avec la Nature et les générations futures [Solidarité]. Une relation harmonieuse avec le réel, le monde tel qu’il est. Notre problème est bien que nous consommons beaucoup d’énergie pour transformer un réel qui ne correspond pas à nos fantasmes démesurés.

Si c’est difficile de changer, c’est que nous sommes réellement drogués et que notre dépendance nous fait perdre notre discernement. Pour parler du carbone, Jean-Marc Jancovici rappelle la définition d’une drogue : une « substance antidouleur ou euphorisante qui entraîne une dépendance et des troubles graves ». Or l’énergie a clairement été antidouleur – une vie plus confortable – et euphorisante – la société des loisirs n’aurait pas existé sinon – et nous commençons à en voir les troubles graves [Renoncement, détachement. Cet état de dépendance peut se retrouver par la pratique intensive de la montagne. L’alpiniste agé, celui qui a passé les fourches caudines de l’augmentation mathématique du risque par une répétition régulière des lancés de dés, est celui qui a su rester maître de lui-même, qui a su renoncer les fois où il aurait pu enchaîner un sommet de plus ce jour-là, emporté par le « flow »].

Comment dès lors nous désintoxiquer ? Il est primordial pour cela de changer de regard sur le Monde et de comprendre l’irrationalité de notre modèle de société. Si je vous dis qu’une voiture est moins rapide qu’un vélo, vous me croyez fou ! Or, si l’on compte le temps travaillé pour payer sa voiture, son essence, son assurance, son garage, le temps passé à la préfecture pour refaire sa carte grise ou au lavomatic pour la nettoyer… et que vous divisez le nombre de kilomètres parcourus par tout ce temps nécessaire pour rouler, vous verrez qu’une voiture est moins efficace qu’un vélo. Ivan Illich calculait une vitesse réelle de 7 km/h pour une voiture en 1982, c’est un peu plus maintenant mais le constat reste le même. On retrouve ainsi le paradoxe d’une vie où tout va plus vite mais où on a « de moins en moins de temps » [Lenteur. La montagne nous réapprend le luxe de la lenteur et nous en redonne le goût].

Prenons aussi l’exemple de la fiscalité. Nous sommes dans un système qui taxe beaucoup ce qui est surabondant, le travail, mais qui taxe peu ce qui est rare, les ressources. Ce modèle est l’héritage du passé où les ressources naturelles semblaient illimitées, le coût a alors été construit par rapport au travail et au capital. Il faut se donner de nouvelles règles pour corriger ce qui n’est plus valable. L’idée d’une taxe carbone est essentielle, non pas pour taxer plus, mais pour remplacer la taxe sur le travail par une taxe sur l’énergie, pour redonner une valeur aux humains par rapport aux machines, pour faire évoluer notre système. Et il faut que ce changement soit progressif, planifié, mais courageux, ambitieux [Courage. La valeur clé du jeu des valeurs de la Montagne et de la Transition Énergétique]. Ce ne doit pas être au marché de régler seul le prix de l’énergie. De nouveaux métiers apparaîtront, d’autres sont de toutes façons voués à disparaître. Ce sera le cas, qu’on choisisse une évolution progressive ou qu’on attende une catastrophe douloureuse [Adaptation, souplesse. La montagne nous apprend en permanence à modifier nos gestes ou notre itinéraire pour atteindre notre but, que ce soit le sommet, ou celui de revenir].

Notre système politique pense qu’une somme de petites mesures peut résoudre les difficultés du moment : c’est le propre de la technocratie. Or le système lui-même est à repenser et ce n’est pas la prime à la casse ou une subvention à l’énergie photovoltaïque qui changera vraiment les choses : il faut se donner des règles du jeu différentes, plus en lien avec la réalité [Vérité. Lucidité. La montagne nous met face à nous mêmes. Impossible de se voiler la face dans ces cas-là]. Donner un prix croissant à l’énergie et moins taxer le travail, c’est se désintoxiquer (en douceur) de notre drogue qu’est l’énergie [Volonté. Persévérance. Réalisme]. C’est comme s’appliquer un patch anti-tabac et diminuer la dose de nicotine. Comme dit Pierre Rabhi, il faut cesser de garder un système sous perfusion alors qu’il devrait déjà être mort.

Si on apprend à regarder les choses autrement [Prise de hauteur, la vue depuis le sommet est tellement différente], on se rend compte que toute la logique sur laquelle le système libéral mondialisé s’est construit devient désormais inadaptée : ce n’est pas l’industrialisation et la globalisation qui sont efficaces aujourd’hui, c’est la relocalisation, l’artisanat et l’autonomie [Autonomie]. Après avoir construit une société de l’hétéronomie, c’est-à-dire où chacun répond à ses besoins en achetant à d’autres, il nous faut maintenant construire un monde de l’autonomie. Ce qui paraissait efficace dans un monde à l’énergie abondante et apparemment sans conséquence, ne l’est plus dans un monde à l’énergie chère et génératrice de crises écologiques, au moins pour les besoins vitaux, notamment l’alimentation et l’habitat. L’efficacité c’est l’autonomie.

Créer une économie de l’autonomie, cela implique de nombreux changements et parmi ceux-ci un questionnement de la notion de travail tel qu’on l’entend actuellement. Il faut cesser de croire qu’on remettra les millions de chômeurs sur le « marché du travail » sans changement du système. Les « métiers de l’avenir » sont ceux qui redeviennent compétitifs face aux machines auxquelles on ne saura plus donner à « boire » autant d’énergie [Créativité: face à une difficulté structurelle de l’itinéraire, les ouvreurs de voies ont tous su changer l’angle de vue pour résoudre le problème]. L’avenir, c’est davantage d’artisans, de maraîchers bio, d’indépendants. La valeur occidentale du travail, qui s’est étendue au monde entier, est basée sur un lien entre sens de sa vie et « utilité sociale ». Pierre Rabhi dit que nos villes ressemblent aujourd’hui à des boîtes à outils où on range des êtres humains qui sont utilisés la journée par des entreprises [et dont certains vont retrouver le goût de la vie les weekends, en engageant leur corps dans le « sauvage »]. Ce rapport au travail bouge car les citoyens veulent un autre sens, on le voit partout dans les écoles d’ingénieur et de commerce. Le film En Quête de Sens rencontre un grand succès dans les écoles où beaucoup de jeunes sont prêts à travailler, mais autrement que leurs aînés.

Le pivot pour créer une société de l’autonomie c’est un rapport différent au vivre-ensemble [Il faut retrouver le goût de l’esprit de cordée]. La question écologique et la question du vivre-ensemble, du faire-ensemble, de la coopération sont en effet indissociables car être autonome seul est quasiment impossible alors qu’un hameau, un quartier peuvent développer une culture de l’autonomie [la cordée autonome parce que solidaire]. Si la cause du problème est dans nos modes de vie individualistes, on trouvera des réponses dans des solutions conviviales et collectives, dans un rapport différent au territoire et à sa culture locale.

C’est tout l’intérêt du Projet Oasis que mène Colibris : il faut construire une écologie du vivre-ensemble, une écologie de la mutualisation, du partage, de la convivialité [Convivialité] et l’autonomie. Il faut donner du pouvoir à chacun d’agir à son échelle. En réalisant leur bilan carbone, nous avons constaté qu’un habitant d’oasis émet deux fois moins de CO2 qu’un français moyen* ! (…)

C’est la voie pertinente [une voie engagée mais magnifique] à emprunter pour limiter vraiment les changements climatiques !

[Toute l’humanité est engagée dans cette voie. Envie de rejoindre la grande cordée ?]

L’article original : http://www.colibris-lemouvement.org/webzine/decryptage/les-oasis-et-le-climat-12